CAILLIAU Pierre (1921-2010)   1ère DFL             Bataillon de Marche 24, Bataillon de Marche 21

Nos remerciements à Jean Cailliau son fils

Pierre CAILLIAU, né en 1921 au Havre, était le neveu du général de GAULLE par sa mère, Marie-Agnès Cailliau, sœur de Charles de Gaulle.

Il entre à 17 ans au grand séminaire de Rouen mais la guerre va contribuer à l’abandon de cette voie : en 1939, il répond à l’appel du collège Saint-Joseph, qui cherche des professeurs pour remplacer les ecclésiastiques mobilisés. Mais lorsque l’agglomération havraise est sur le point d’être envahie par les Allemands, Pierre, ses parents et son plus jeune frère quittent Le Havre pour s’installer à Saint-Etienne dans la Loire. En septembre 1942, guéri d’une pleurésie, Pierre entame des études de Droit et Sciences Po à Lyon.

 

Depuis mars 1942, son frère aîné Michel, évadé d’un Stalag, avait rejoint la résistance en fondant son propre mouvement, le Mouvement de Résistance des Prisonniers de Guerre, dont le QG était installé à Lyon.

A la suppression de la ligne de démarcation après la libération de l’Afrique du Nord en novembre 1942, Pierre et ses parents en profitent pour retourner à Sainte-Adresse. La Gestapo, avertie, arrête les parents de Pierre qui sont transférés en camps de concentration. Par chance, Pierre était absent lors de l’arrestation. Il retourne alors à Lyon.

Son évasion par l'Espagne

« Je reviens à cette année 43 où je me retrouvai seul, terminant mes études à Lyon. Je décidai alors de tenter de rejoindre la France libre à Alger et Michel m'y aida financièrement avec les fonds de la Résistance. Le passeur que m'avait recommandé Michel me fit franchir la frontière espagnole sans encombre. Sur ses conseils (!!), je pris le train à Figueras et fus immédiatement repéré et arrêté par les carabineros. Conduit à la carcel Modelo de Barcelone, tondu de la tête aux pieds, puis enfermé avec 4 où 5 espagnols, antifranquistes, dans une cellule où nous avions du mal à nous coucher par terre en même temps et où le seul confort était une douche et un WC dont chacun profitait... Le règlement exigeait que l'on y passât au minimum trois semaines. Dans ce délai, je pus faire prévenir le consul d'Angleterre qui vint me rendre visite et me laissa espérer réussir à me faire libérer dès les trois semaines obligatoires expirées (le periodo). Hélas, je fus transféré à cette date au Palais des Missions où je connus pêle-mêle beaucoup de Français qui attendaient là leur envoi au camp de Miranda del Ebro qui avait fort mauvaise réputation.

Ayant caché ma véritable identité pour adopter celle de Charles Pelletier, soi-disant Canadien français, je craignais de partager le sort de quelques malheureux prisonniers qui, depuis plusieurs mois perdaient tout espoir d'être libérés (...).

On nous informa de notre départ pour Miranda. Hélas, hélas, je tentai en vain d'alerter le Consul d'Angleterre. Impossible de le joindre le week-end. Nous fûmes donc embarqués, menottes aux poings, pour Miranda. Mais quelle ne fut ma surprise, à Saragosse, où nous devions passer la nuit en prison, d'entendre appeler Charles Pelletier par un quidam espagnol qui s'avéra être le représentant du consulat britannique.

J'eus, grâce à lui, l'extrême faveur de quitter le convoi pour la nuit et visiter Saragosse by night (dîner, flamenco...) contre promesse de me reconstituer prisonnier le lendemain matin. A l'aube, il me ramena au train et obtint que l'ensemble des prisonniers ne soit plus menotté jusqu'à Miranda. Ce camp était vraiment morose. Des milliers de Français y étaient gardés, attendant plusieurs mois leur libération. Hygiène, nourriture plus que douteuse, punaises dans les bas flancs, coliques épouvantables, feuillées (à défaut de WC) malsaines et nauséabondes, le moral était au plus bas. [1]

 

Pierre CAILLIAU rejoint la France Libre  en juillet 1943 

 

"Et soudain, au bout d'environ trois semaines, (un record de brièveté) ce fut la libération, grâce au Consulat d'Angleterre. Accueil à Madrid par la Croix Rouge Française (Monseigneur Boyer Mas) qui, dans les jours suivants, m'expédia à Gibraltar. Là, je fus équipé à l'anglaise, short et chemisette kaki, puis un hydravion m'emmena à Oujda d'où je pris le train pour Alger et fus accueilli à la Villa des Oliviers par Oncle Charles et Tante Yvonne. Quelle béatitude après Miranda ! J'entreprends immédiatement des démarches pour être incorporé dans les Forces Françaises Libres. Le manque cruel d'officiers conduit l'armée à m'orienter vers l'école d'Aspirants de Cherchell, sans aucun service militaire préliminaire. Aux Oliviers, Tante Yvonne menait efficacement mais très discrètement sa maison, aidée de deux ou trois femmes de ménage. Oncle Charles y goûtait le soir un repos mérité, consacrant temps et tendresse à la pauvre Anne, sa fille infirme ». [1]

"A la sortie de Cherchell, je suis affecté comme aspirant au Bataillon de Marche 24 des Forces Françaises Libres, le BM 24 attendu en Tunisie quinze jours plus tard, le temps pour moi, accompagné de mon copain Thaddée du Mourot, aspirant lui aussi frais émoulu de Cherchell, d'aller faire un tour au Maroc en profitant à l'aller de l'avion d'Oncle Charles qui va à Rabat… Nous rejoignons le BM 24 près de Tunis, dirigé par le commandant Coffinier qui me confie une section dans la compagnie du capitaine Tencé. C'est un bataillon de Marsouins, entendez par là d'Infanterie de Marine. En fait des noirs, essentiellement d'Afrique Equatoriale et du Cameroun, encadrés par des Français. Parmi ces derniers, certains ont participé à Bir Hakeim, dont le lieutenant Villain qui commande une autre section de la compagnie Tencé. Mais la plupart ont seulement participé aux dernières opérations de Lybie avant d'arriver en Tunisie » [1].

Au Printemps 1944, Pierre CAILLIAU participe à la Campagne d'Italie avec son unité, le BM 24.

Puis il débarque à Cavalaire le 16 août 1944, engagé dans les combats pour la Libération du territoire national, de Lyon jusqu'à l'Alsace.

 "A peine quelques jours se sont écoulés et nous voici de nouveau à bord de bateaux de débarquement pour arriver à Cavalaire, sur cette plage de Provence à quelques kilomètres de Saint-Tropez. Des troupes françaises nous y avaient précédés et avaient reconquis le Midi. Quelle émotion pour nous de pouvoir enfin participer à la libération de la France ! » 

« A Lyon, je suis tristement frappé par la hargne de certains FFI qui, sans autre forme de procès, fusillent devant nous des Français taxés de « collaborateurs » [1].

« Nous sommes transportés jusque dans les Vosges où, enfin, nous trouvons l'ennemi. Dans les premiers jours, des combats, parfois sanglants nous permettent de libérer Grosmagny, Giromagny. Mais très vite, les Allemands retranchés bloquent notre avance. Nous voici, retrouvant la fameuse guerre de tranchées de la grande guerre, difficile et angoissante. Nous sommes à trois cents mètres les uns des autres, et petit à petit, le paysage d'automne se transforme, les feuilles tombent, l'ennemi est beaucoup plus proche : le soir, soit les patrouilles allemandes, soit les nôtres, tâtent l'adversaire. Je suis handicapé car ma vue nocturne est très déficiente. Ainsi, voulant simplement de nuit inspecter mon dispositif, je me retrouve devant mes tirailleurs de garde et donc à leur merci. Une petite toux de l'un d'eux me permet de me faire connaître et d'éviter le pire. Quelques jours plus tard, nous recevons l'ordre d'attaquer à l'aube. Je prévois une hécatombe comme en 14. Grosse préparation d'artillerie. Nous nous élançons, baïonnette au canon, pour trouver les tranchées vides mais truffées de mines, et leurs abords aussi. Je me revois progressant difficilement entre les fils de mines, alerté par mes Tirailleurs : « mine à gauche, mine à droite... ! » [1]

L'Alsace :  la Résistance d'Obenheim du 7 au 10 Janvier 1945 

 

Pour parer à la contre-offensive allemande dans les Ardennes, la 2e DB avait été envoyée dans les premiers jours de Janvier au nord des Vosges entre Bitche et Wissmbourg. Les Allemands en profitent pour  lancer leur attaque pour reprendre Strasbourg par un mouvement en pince dans le secteur de la 1ère DFL qui ne peut opposer que des forces d'infanterie. La lutte va être acharnée  et le BM 24 va se retrouver à partir du 7 Janvier coupé des autres unités, encerclé dans le village d’Obenheim.
Le chef de la 1ère Armée lui ordonne de « résister partout sur place ». 

En fin de journée le 7 , une division allemande arrive devant Obenheim, qui ne va pas tarder à connaître la tragédie annoncée de son anéantissement.

 

Le 9 janvier, l'ennemi inonde Obenheim de tracts demandant la reddition du Bataillon alors que les munitions et les médicaments commencent à faire défaut. Sous le commandement de Coffinier, les défenseurs d'Obenheim résistent jusqu'aux dernières munitions mais ne peuvent éviter la reddition : plus de 700 hommes sont faits prisonniers et envoyés en détention en Allemagne. Ce ne sera pas le cas de Pierre CAILLIAU, mais le BM 24 est anénanti. 

 

Copyright Fondation BM 24-Obenheim

Pierre CAILLIAU témoigne de son évasion dans le journal Témoignage Chrétien, du 13 avril 1945 : 

« Jusqu'au 10, raconte le Lieutenant (Pierre Cailliau), ça pouvait encore aller. Mais le 10, après l'affaire des parachutages, c'était flambé. A 20h, nous avons signalé par radio : « situation critique ». Les chars et l'infanterie ennemie commencent à entrer dans le village.

A 02h20, dernier SOS. Mais il était bien faible. Les piles étaient usées. Je vous dirais qu'après seize heures, mes souvenirs deviennent très flous. Il y avait des combats de rue très violents puisqu’aucun ordre de reddition n'a jamais été donné. Les gens étaient pris quand il n'y avait plus de munitions, c'est tout. A la hauteur de l'église où j'étais, on entendait les Boches qui faisaient manœuvrer leurs chars : « Zurück... Reculer ! Vorwärts... En avant ! ». On voyait leurs ombres à 30 mètres. La radio n'avait plus de piles, le téléphone était coupé depuis longtemps. Aucune liaison n'était possible que par piétons, sous le feu ! Les Allemands lançaient des fusées éclairantes, des grenades fumigènes, des obus incendiaires. Les maisons, les véhicules brûlaient, les uns atteints par les obus ennemis, les autres détruits par ordre... J'étais là avec un rocket-gun, avec une douzaine d'hommes, attendant le premier char au débouché. Là-dessus, le Commandant Coffinier arrive et dit : « La 1ère compagnie n'a plus de munitions, la 2e est défoncée, la 3e, dispersée. Essayez de partir... » Il y avait neuf chances sur dix d'y rester. Mais au village, c'était dix sur dix. Je suis parti avec le Lieutenant Villain et son ordonnance. Nous cherchions en vain un passage vers l'Ill. Tout était coupé. Il a fallu remonter jusqu'à Osthouse, beaucoup plus au Nord, en passant à gué plusieurs ruisseaux. Quand nous sommes arrivés aux lignes, nos vêtements trempés et glacés, étaient durs comme du carton ».

Des 765 hommes qui sont restés au village jusqu'au bout, 5 ont échappé au feu et à la captivité grâce aux habitants qui les ont, avec un courage admirable, recueillis, cachés dans le foin et nourris jusqu'au 31 janvier, date de la seconde délivrance d'Obenheim. 2 étaient restés cinq jours au fond d'une cave, les pieds dans l'eau, avant de se décider à se montrer. Ils sont encore à l'hôpital avec les pieds gelés ». [2] 

 

Pendant ce temps  la défense du secteur a pu être renforcée et lorsque, dès le 13 janvier, les Allemands tenteront de percer la barrière de l’ILL, ils seront brutalement repoussés. Aucune autre tentative n’aura lieu ! Le sacrifice des hommes du BM 24 n’avait pas été vain.

L’aspirant Pierre CAILLIAU rejoignit immédiatement les rangs du BM 21 pour continuer le combat alors que les attaques se poursuivaient en direction d'Erstein et de Krafft. Il fut promu lieutenant le 6 février 1945.

Tourrettes, Alpes Maritimes : Pierre Cailliau en tête de sa section du BM 21 Copyright ADFL

Printemps 1945 - Derniers combats à l'Authion

 

Pierre CAILLIAU termine la guerre dans les combats pour la prise du Massif de l'Authion dans les Alpes Martimes au Printemps 1945.

 

Le 10 Avril, tandis que l’offensive commence à sa droite sur le massif de l’Authion, la 2e section du Lieutenant Pierre CAILLIAU est poussée en direction de la Cime de Tuor et effectue dans l’après-midi la mise en place d’une puissante base de feu en vue de l’attaque du Fort de Raus.

De son observatoire la compagnie aperçoit les blockhaus accrochés au flanc de la montagne face à la cime de Raus. Tout est si immobile et silencieux que l’on pourrait se demander si l'ouvrage est réellement occupé.

En fin de journée la préparation d'artillerie se déclenche et s'abat soudain sur le Fort avec violence et précision. En même temps les mitrailleuses neutralisent les embrasures des blockhaus où l'on voit rentrer les balles traceuses. Au dernier moment deux lance-flammes de la section d'assaut prennent place dans le dispositif de la 2e section.

 

Le Lieutenant Pierre CAILLIAU profite du tir d'artillerie pour pousser sa section immédiatement au-dessus du Fort. Les hommes arrivent ainsi en rampant à s'en approcher à moins de 100 mètres. Aussitôt après la fin des tirs, les hommes de la 2e section descendent en hurlant vers le Fort. Ils occupent rapidement les tranchées qui entourent les blockhaus et cernent le bloc bétonné sans que celui-ci ait pu réagir. Quelques coups de rockets, quelques grenades fumigènes et les Allemands sortent les mains en l’air. L'opération n'a pas duré un quart d'heure...

 

 

Pierre CAILLIAU est décédé en 2010.

Ressources

 

Dossier Résistant au SHD de Vincennes (non consulté) : Cote GR 16 P 100965

 

[1] Un passé simple... ,Pierre Cailliau. Ed. familiale, archives Jean Cailliau.

 

[2] La bataille d'Obenheim - 4-11 janvier 1945 Fondation BM 24- Obenheim