Yannick MALLET (1921- 2000) 1ère DFL            101e Compagnie du Train

Copyright Famille Mallet

Nos remerciements à Madame Olivia De Vidas, fille de Yannick Mallet et à Denys Mallet, frère de Yannick Mallet, ainsi qu'à Cédric Thomas.

Yannick MALLET est né au Havre le 12 Juin 1921. Il est issu d'une famille de marins d'Etretat et fils de Jean Mallet, Pilote major de la Compagnie du Canal de Suez, mobilisé dès la déclaration de guerre, en septembre 1939, dans la zone du Canal. Sa mère Alexandre Guerrier, est issue de la famille des célèbres Pilotes dont une rue du Havre porte le nom. 

A 18 ans en Juin 1940, Yannick MALLET est tout juste mobilisé à la Cavalerie motorisée du 1er Hussard à Angers, lorsque « le commandant du camp nous a réunis ce matin, nous a expliqué la situation, les Allemands étaient à 30 km. On nous a désarmés et donné l’ordre de se laisser faire prisonnier. Il m’était impossible d’accepter une pareille chose. Avec quelques camarades, nous sommes partis, j’ai tout abandonné sauf ma musette avec quelques vivres » [1].

Après un périple en charrette, camion et automobile, le jeune homme fait une halte à Bordeaux chez un ami de la famille qui lui prête de l’argent, mais il n’y a pas de temps à perdre. Il lui faut descendre davantage vers le sud... Il poursuit ainsi sa relation : « Que d’événements épouvantables depuis quelques jours. Malgré l’héroïsme de notre défense nous sommes vaincus. Nous sommes obligés d’accepter des conditions d’armistice écrasantes. Je me suis sauvé de France il y a maintenant 6 jours. J’étais avec la dernière classe cantonnée près d’Angers que nous avons quittée à cause des bombardements et de l’avance des Allemands... Je suis donc descendu jusqu’à Saint-Jean-de-Luz où j’ai réussi à m’embarquer pour l’Angleterre [2].

J’ai retrouvé là beaucoup de Français dans mon cas. Il m’a été très pénible de quitter la France... Maintenant, il me sera impossible de communiquer étant donné ma situation irrégulière vis-à-vis du gouvernement de Bordeaux et des Allemands »

Parvenu en Angleterre, il témoigne auprès de ses parents de l'atmosphère qui règne dans les rangs des soldats français au moment de ce choix décisif. 

" Nous avons eu un accueil formidable de la part des Anglais. Notre situation en Angleterre reste encore obscure. Nous avons à notre tête le général de Gaule (sic), je crois un homme de valeur. Je suis ici dans un camp anglais avec les armées évacuées de Dunkerque. Le moral de ces troupes est extrêmement bas, les officiers en sont, à part quelques exceptions, lamentables. Nous sommes entourés de traitres et de faibles. Le gouvernement de Bordeaux exige le rapatriement des troupes françaises en Angleterre. Ils doivent partir d’un jour à l’autre. Il est donc formé un groupe de volontaires qui combattront aux côtés de l’Angleterre, notre seul espoir maintenant. Le redressement de la France dépendra de sa victoire ou de sa défaite.
La nuit tombe je n’y vois presque plus. Nous ne resterons pas probablement pas dans ce camp. Je vais vous écrire une adresse. Envoyez-moi vite de vos nouvelles. Je ne sais pas si ma lettre parviendra, je l’espère. Malgré la dure épreuve physique et surtout morale que je viens de subir, je suis plein de courage et d’espoir.
Nous avons été trahis en France nous ne le serons pas en Angleterre.
Je me doute mon pauvre papa de la douleur que tu as éprouvé, toi qui a fait la dernière guerre. Tu peux compter sur moi, ce n’est qu’en vainqueur que je reviendrai sur le sol de France et non pas pour servir l’Allemagne, je sais ce que je risque mais mon attitude ne changera pas. Je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que maman et mes frères et sœurs. Yannick »[1].

 

[1] Lettre à ses parents, Arsow camp, 26 juin 1940. Etretat 1939-1945. Cédric Thomas. Ed. à compte d’auteur, 2014 - Archives de la famille Mallet

[2] Sur le Batory ou le Sobieski selon Denys Mallet, frère de Yann Mallet.

Les jeunes volontaires au camp d'Aldershot en  juillet 1940

Yannick MALLET, s'engage dans les FFL en Juillet 1940, affecté à la 1ère Compagnie du Train du Commandant Dulau. Cette unité de la 1ère DFL eut pour mission d'acheminer et de ravitailler les troupes combattantes. 

"Vit-on jamais unité plus jeune ? 

Au départ, 4 conducteurs sur 5 avaient entre 17 et 19 ans. Au moment de leur démobilisation, en 1945, après cinq années de campagne ininterrompues en Érythrée, Libye, Tripolitaine, Tunisie, Italie, France, certains dépassaient à peine l'âge de l'appel normal sous les drapeaux. En Érythrée, en Libye, il fallut trouver un exutoire au trop plein d'enthousiasme et de passion guerrière des chauffeurs, afin de leur faire accepter leur mission d'origine, si primordiale qu'elle fût. Freiner l'activité du personnel fut le grand problème qui se posa à la 101e compagnie du train depuis sa formation jusqu'à la démobilisation », soulignait le Capitaine DULAU.

 

Yannick MALLET participe à l'expédition du Corps expéditionnaire de Dakar et  débarque du Savorgnan de Brazza à Douala le 9 octobre 1940.

© René Duval

Les hommes sont transportés à quinze kilomètres, au camp de Bassa, où ils ne tardent pas à s’entraîner à la conduite à gauche sur des camions Bedford flambant neufs, et où on leur confie la formation de soldats indigènes.

 « Nous avions parmi nous mon ami YANN toujours prêt à révéler ses talents de farceur et de pince-sans-rire. Un jour qu’il avait la charge de tenter cette formation, et qu’il avait à bord son lot de candidats, il avait mis son camion en première, avec, au ralenti, l’accélérateur à main dont étaient munis nos camions. Il était descendu de son véhicule et s’était posté devant à quelques mètres, faisant des signes cabalistiques au camion qui avançait tout seul à l’étonnement des passagers qui le prenaient pour un grand sorcier blanc. Nous faisions aussi des sorties en brousse avec le passage de cours d’eau sur des bacs ou des ponts de fortune, le tout complété par des cours sur les dangers de la faune africaine. Un jour que notre lieutenant Dulau, "Dudule" pour les intimes, nous faisait un cours sur les dangers d'une énorme tarentule qu'il tenait enfermée dans un bocal, notre célèbre Yann avait dit entre haut et bas : "Dommage qu'elle ne soit pas dans son slip ! ". Mais le lieutenant l'avait entendu et avait rétorqué : « MALLET vous me ferez huit jours », mais ce fut sans suite pour la bonne raison que nous n’avions pas de prison ! » [3].

© René Duval

Le jour de Noël 1940, Yann MALLET embarque dans le port de Douala sur un cargo bananier Cap des Palmes. A Freetown, ils sont transbordés, avec armes et bagages, à bord d’un autre cargo plus important, le Neuralia, puis  ils débarqueront à Port-Soudan.

« Nous allons bientôt récupérer notre matériel. Puis nous partons vers le sud à travers le désert soudanais, destination l’Erythrée et l’Abyssinie. Les pistes sont dures et le matériel souffre énormément ainsi que nous, jeunes conducteurs inexpérimentés. Dans ce désert aride où ne poussent que quelques épineux, seuls quelques rares baobabs nous offrent, et nous en profitons lorsque c’est possible, un peu d’ombre toujours bienvenue sous ce soleil torride. Les étapes sont longues et lorsque nous nous arrêtons le soir, nous sommes complètement démolis après avoir subi des ensablements ou sauts de carpe dans la cabine. On a mal partout, jusqu’aux entrailles. Nos véhicules Bedford ne sont pas adaptés au désert, ce ne sont que des tractions arrière, et nous n’avons pas de plaque de désensablage. Lorsqu’aujourd’hui on nous vante les mérites des pilotes du Paris-Dakar, super équipés avec toute la maintenance possible et une assistance totale, et de plus en temps de paix, cela me fait un peu sourire… mais ne soyons pas méchants ! La casse est importante, surtout les lames de ressorts, et malgré le camion atelier, il est quelquefois impossible de réparer, alors le camion reste sur place avec son conducteur. C’est ce qui est arrivé à mon ami Yann MALLET, abandonné seul en plein désert sans âme qui vive, avec des rations et de l’eau pour quelques jours. Il aura cependant un compagnon, un arabe sorti d’on ne sait où, attiré par les coups de fusil que Yann tire sur les chacals et les hyènes qui rôdent autour de son campement. Mais ce compagnon inattendu embarrasse beaucoup Yann qui reste sur le qui-vive et tente de ne pas s’endormir, de crainte que son hôte ne lui fasse un mauvais sort. Il avait sûrement raison mais son flegme habituel a été mis à rude épreuve. Nous sommes retournés le chercher huit jours plus tard. Les abords du campement étaient jonchés de cadavres de chacals et d’hyènes. Notre Robinson du désert n’était pas mécontent de rejoindre la Compagnie »[3].

1941 - Après la campagne d'Erythrée, Yann MALLET participe à la campagne de Syrie. Dans un courrier à ses parents, daté du 24 juin 1941, il écrit : « Voilà une partie de la campagne de Syrie terminée. Je dois remercier le Bon Dieu d’avoir tiré ma peau de cette affaire. Je peux dire que j’ai eu de la veine. J’étais avec les fusiliers marins 10 jours en première ligne, 10 jours sans une égratignure. J’espère que je ferai le reste de la campagne avec autant de chance ! »

La Compagnie du Train est ensuite engagée dans la campagne de Libye en 1942 et Yann MALLET participe à la Bataille de Bir Hakeim.

Section d'escorte de convois en 1942

Yann MALLET, 11 novembre 1942 :

« Mes chers parents, avant-hier nous avons été à Bir Hakeim sur les tombes de nos camarades. Le cimetière est vraiment très bien, très net, simple.

C’est épouvantable de penser que des Français sont enterrés dans une pareille solitude. Nous avons encore l’impression d’être près d’eux. Ils ont encore des visites, mais quand nous serons partis, qui viendra les voir ? Enfin j’espère que nous allons vers des coins plus hospitaliers car l’endroit où nous sommes engendre plutôt la mélancolie. Nous continuons à manger du sable…»

Ce sera ensuite pour Yannick et ses camarades du Train, la Campagne d'Italie au Printemps  1944.  Son ami René Duval témoigne :

« Dans notre secteur du Garigliano et du Liri, la bataille fait rage. Devant les difficultés d’accès des véhicules, l’état-major décide de faire venir d’Afrique du Nord des « brèles »… Nous en voyons de toutes les couleurs avec ces bêtes têtues comme des … mulets, qui mordent, ruent, sautent des camions et s’échappent, nous entraînant dans une course effrénée pour les rattraper ! 

Nous sommes quelquefois désignés pour ramasser de pauvres corps mutilés et les emmener vers un lieu de sépulture. Parfois ce sont des camions entiers qui se dirigent ainsi vers l’arrière ». [3] 

 

[3] Mémoires d'un volontaire de la France libre, 1940-1945. René Duval, Association pour le respect et la valorisation du patrimoine culturel de Gouville-sur-Mer, 2000.

Yannick MALLET terminera ses 5 années de volontariat et de guerre par le Débarquement de la 1ère DFL en Provence en Août 1944, suivi des campagnes pour la Libération de la France (Libération de Lyon, Bourgogne, Vosges, Alsace et Alpes Maritimes)...

Le Commandant Dupont-Danican rendra hommage à Yannick Mallet lors du décès de ce dernier en 2000 : 

« Jamais je ne t'ai rencontré, mon cher  Yannick, sans voir derrière toi comme une fresque sablonneuse et mortelle dont tu es sorti vivant.

Vivant tu le seras toujours dans notre souvenir, dans le souvenir de tes nombreux amis, de tous tes camarades de la guerre, de ta famille à laquelle nous adressons, nous-mêmes, anciens combattants de la France Libre, nos condoléances émues, notre affection réelle.

Nous serons heureux de te retrouver là-haut un jour qui n'est pas si loin maintenant pour nous de cette génération qui veulent encore citer en exemple aux jeunes de notre temps ceux auxquels ils doivent tant ».

Commandant Jean-François Dupont-Danican, FNFL, Juin 2000

Copyright Famille Mallet

Ressources

  • Dossier Résistant de Yannick Mallet au SHD de Vincennes : cote GR 16 P 387500
  • Etretat 1939-1945. Cédric Thomas, Corlet imp., 2015
  • Mémoires d'un volontaire de la France libre, 1940-1945. René Duval, Association pour le respect et la valorisation du patrimoine culturel de Gouville-sur-Mer, 2000.