LE FLOCH Maurice  (1918-1989)  FNFL              Marine de Guerre                                        Avisos Chevreuil, Commandant Duboc, Contre-torpilleur Léopard, Aviso Savorgnan de Brazza 1er Bataillon de Fusiliers Marins Commandos    Badge n° 40

Nos remerciements au Musée de tradition des fusiliers marins et commandos, Ghislaine Boulais-Vincent, Benjamin Massieu et Sylvain Prentout.

Maurice LE FLOCH, né au Havre le 30 septembre 1918, s'engage dans les FFL en Juillet 1940. Après une formation sur le Courbet, il sert la Marine de Guerre FNFL sur différents avisos et sur le contre-torpilleur Léopard.

 

Copyright Ghislaine Boulais-Vincent

Candidat pour les commandos en 1942, son arrivée  à la Compagnie à Criccieth en 1942 et le début de son instruction sous les ordres du Capitaine Charles Trepel, sont  longuement évoqués par le commandant Philippe Kieffer dans ses mémoires :

 

« Un soir, rentrant au bureau d'une journée d'exercice, le commando de garde au P.C. me fit savoir qu'il y avait un matelot français venu de Londres qui attendait mon retour et désirait me voir. Je le fis monter à mon bureau :

- Le Floch, commandant...

Je levai les yeux ; le matelot sans spécialité Le Floch me tendit un ordre de route souillé de graisse et chiffonné émanant du dépôt de Londres. L'ordre en question enjoignait au matelot Le Floch, puni et volontaire pour les Commandos, de se présenter au Commandant de la compagnie des Fusiliers Marins Commandos à Criccieth comme postulant.

J'avais à peine jeté un regard sur le candidat Commando que je restai stupéfait. Le garçon qui était devant moi tenait à la main quelque chose qui avait dû être un bonnet, il portait des pantalons sales, les pattes énormes et effilochées retombaient, fatiguées, sur la pointe de godillots qui semblaient n'avoir jamais connu le cirage.

Je l'observai un bon moment : il était mince jusqu'à être fluet, sa figure aux traits réguliers était éclairée de larges yeux bleus sympathiques malgré tout et une longue mèche dorée pendait sur le visage. Quel âge avait-il ? On pouvait lui donner dix-huit ans tout aussi bien que trente. Il avait l'allure d'un jeune dur.

- Que viens-tu faire ici dans cette tenue ?

Il répéta simplement :

- Volontaire pour les Commandos, commandant.

- Je regrette de ne pouvoir employer ta bonne volonté : tes punitions antérieures dans la marine n'ont rien à faire avec mon refus, j'ai déjà accepté bon nombre de punis dont j'ai été fort content. Cependant, ton physique, avant même un examen médical approfondi, me paraît déficient pour le genre de travail que nous faisons. Je te considère inapte à faire un commando. Je vais te donner un ordre de voyage pour retourner au dépôt à Londres.

Un coup de massue à Le Floch n'aurait pas produit un effet plus brutal que ma dernière phrase.

- Commandant, ne me refusez pas cette dernière chance ! supplia-t-il.

Je vis des larmes embrumer l'iris de ses yeux bleus qui prirent la teinte de son ciel breton. Je sentis en Le Floch le drame intérieur qui amène l'homme au bord du précipice. Il avait déjà, en lui-même, joué son destin sur les Commandos. Ma réaction, devant son effondrement, fut immédiate, ma décision soudaine : je le prendrais à l'essai, il avait gagné.

- Je te prends à l'essai. Tu vas passer au magasin et échanger tes loques contre un khaki propre ; tu coucheras au P.C. ce soir avec la garde, et, demain, je te choisirai moi-même un logement provisoire chez l'habitant jusqu'à la fin de ta période d'essai. Présente-toi demain pour les ordres. Le Floch, les yeux brillants de reconnaissance, se figea dans un garde à vous comme il n'en avait vraisemblablement jamais exécuté durant toute sa vie militaire antécédente. Il dit ces simples mots :

- Merci, commandant.

Je lui sus gré de suite de m'avoir épargné un petit discours plein de promesses, se réservant plus tard pour des actes.

Je rejoignis de suite mon officier en second, le capitaine Trépel, au bar du Lion. Devant notre " stout ", journalier, je lui fis part de la visite de Le Floch et je lui demandai de détacher dès demain un instructeur sévère pour « faire les pieds « à Le Floch. Restait la question du logement de Le Floch chez l'habitant. De ce côté, aucune erreur psychologique n'était permise, autrement c'était la catastrophe. Après avoir discuté la question sous divers angles avec le capitaine Trépel, je pris la décision de loger notre jeune dur dans une famille d'excellents bourgeois, honorés dans le pays, ayant maison cossue et de nature paisible et cultivée. Je le mettais ainsi brutalement devant une certaine responsabilité morale.

Le lendemain, Le Floch était pris en main par un instructeur qui devait avant tout se rendre compte de son endurance physique et lui inculquer, durant les courts moments' de repos, la tradition des commandos et leur discipline.

Je ne voulais plus entendre parler de lui ni le voir pendant dix jours. À la fin de cette période, un rapport serait remis par son instructeur et le sort de Le Floch serait décidé.

Dans les jours qui suivirent, je croisai une seule fois Le Floch rentrant de la marche, épreuve de trente-deux kilomètres ; il suivait sur les talons de l'instructeur, la langue pendante et le sang perçant à travers ses brodequins poussiéreux. Je fis semblant de ne pas le voir.

Au bout du terme, le rapport de l'instructeur fut bon, et même : « possibilités excellentes «. Le Floch partit à l'École de Commandos où il fit honneur au bon renom des Français ; il rejoignait quelque temps après l'unité et rentrait dans le cadre d'une des sous-sections de la Compagnie ».[1]

Copyright Ghislaine Boulais-Vincent

Commandant Philippe Kieffer : « Un soir, où je me rendais à une de ces séances, je fus témoin d’un tableau tout imprégné de douce distinction. Le Floch, tenant en laisse Diane, la levrette mascotte de l’unité, rasé de près, le teint rosé, la ligne de son battle-dress au coup de fer impeccable, avançait à petit pas vers le cinéma, net et droit, entre son logeur et sa femme. Le Floch, en quatre mois, s’était transformé en aristocrate ».

En 1943, Maurice LE FLOCH participe à l'une des nombreuses opérations Hardtack (raids) conduites par les Britanniques sur les côtes de France et les iles anglo-normandes, en préalable au futur Débarquement.

 

L'opération Hardtack 7 du 15 décembre 1943 fut confiée au Lieutenant anglais Gonigal Ambrose Mac. Avec lui, cinq Français s'apprêtent à s'élancer vers les côtes de l'île de Serck : Pierre Charles Boccador, Robert Bellamy, André Dignac , Maurice LE FLOCH et Joseph Nicot.

 

Récit de Pierre-Charles BOCCADOR :

Seaford, Mercredi 15 décembre 1943 : « ...  nous avons eu la surprise d'apprendre de la bouche du Pacha une nouvelle qui nous comble de joie.

" Mes enfants, a dit le Commandant Kieffer, vous êtes désignés pour partir dès samedi vers certains points de la côte en vue de prendre part à diverses opérations secrètes contre les boches, je vais vous lire la composition des différents groupes franco-britanniques... Nous travaillerons tous sur des points stratégiques vitaux situés en France".

Mon équipe se compose de 8 hommes sous le commandement d'un officier anglais... (...)  La formation définitive du groupe d'assaut est la suivante : Lieutenant Mac Gonihal, sous-maître Boccador, Nicot, Le Floch, Dignac et Bellamy. Gay et Pizzichini resteront à bord du MTB avec le quartier-maître infirmier Vinat.

Vendredi 24 Décembre. Exercices, travail sur cartes, c'est pour demain... Repos à la maison, j'ai interdit à Dignac et à Le Floch d'aller au bistrot, défense de se saouler, il faut être prêt pour la nuit prochaine.

Samedi 25 Décembre. Les anglais fêtent Noël aujourd'hui. A midi on annonce qu'on part en "manœuvres". A la maison, on nous croit devenus fous, un soir de Christmas, m'a dit Bill, tout le monde fait la bombe... C'est pour ça que les commandos vont partir cette nuit. Embarquement MTB à 16h, calme plat, il fera une nuit sans lune, tant mieux !

Vérification de l'arsenal : Bellamy les grenades spéciales, Nicot le bangalore torpédo et la mitraillette silencieuse, Le Floch sera avec moi pour attaquer la sentinelle au poignard. Va y avoir du sport. Il y a aussi un autre matériel spécial : boussole camouflée dans un bouton de col, chaussures à semelles de feutre, paquet d'évasion avec cartes, mouchoirs, monnaie française, pastilles nutritives, seringue de morphine... Quentric, Pizzichini, Gay et Vinat resteront à bord de la MTB en renfort. Pour tuer le temps on joue au poker, poignards et mitraillettes sur la table. L’infirmier gagne tout ! 21 heures, premiers préparatifs, on se fout du noir sur le visage, ça fait joli tout plein !

22 heures, on monte sur le pont, en vue des îles anglo-normandes, la MTB a mis le moteur en "silencieux". Nos yeux s'habituent à l'obscurité, la côte est là, en face de nous le phare de l'île de Sercq. 23 heures, on embarque dans le Doris aux places désignées, moteur silencieux, contact radio OK. Direction la côte, à 600 mètres à peine, la mer est légèrement houleuse.

 

Copyright Claudine Chaintrier-Cormerais

 

23H15, arrivée au pied de la Pointe Derrible, falaise impressionnante. L’équipe d'assaut débarque. Le doris s'éloigne et mouille à 100 mètres. Dignac - Tarzan attaque la falaise, travail de cordée au Toggle-rope, la nuit est calme, on devine en face de nous les blockhaus du Hog-Back. Le vent amène de temps en temps un air d'accordéon, les boches s'amusent et chantent dans leurs trous.

2h15, passage impraticable, on est au sommet de l'une des arêtes rocheuses qui descendent vers la mer, pas moyen d'aller plus loin, les boches ont fait sauter le petit sentier qui mène au sommet du rocher... Descente en cordée dans le vide qui nous aspire. Revenus au doris : signal, rembarquement et exploration prudente de la petite baie - Nouveau débarquement au pied d'une petite plage de sable, sans doute minée... Seuls, le lieutenant et moi détectons une mine : prise de guerre. Retour au doris, moteur en panne, radio brouillée, on se met à la pagaie, faut se grouiller, le MTB part à 5h30. Arrivée droit dessus à 5h10, OK, départ.

Dimanche 26 Décembre, 9h10 rentrée au port de Dartmouth, pas fiers, furieux, crevés, on va se coucher...

Le Lieutenant a promis qu'on remettrait ça demain soir.(...) 

Lundi 27 Décembre, ça y est, on repart ce soir, tant qu'il n'y a pas de lune, on peut y aller. Au "Billets" je crois qu'ils ont compris qu'il s'agissait de "drôles de manœuvres". (...) 16h, départ de Dartmouth, on a changé de MTB, on a maintenant la N° 322, c'est celle qui transportait l'équipe d’Ayton, les marins à bord sont enragés contre les boches. 22h, après le processus habituel, maquillage etc... On est maintenant dans le doris à 800 mètres de la côte. 22h20, débarquement, cette fois à la pointe du "Hog Back", falaise toujours impressionnante, mais "Tarzan" grimpe partout. Progression lente, mais sûre.

0h45, nous avons enfin dépassé le sommet des falaises, nous avançons en formation de patrouille dans la direction du premier blockhaus boche qui doit se trouver à 300 mètres en avant. En tête le lieutenant et moi-même, N° 2 et 3 (Nicot et Le Floch), 4 et 5 (Dignac et Bellamy). Attention, terrain sablonneux... à quatre pattes on tâte le sol... Y a peut-être des mines ? Deux explosions coup sur coup... On est sur un champ de mines... Ça saute. Dignac et Bellamy sont touchés. Robert Bellamy a crié "Je suis mort", et il a été en effet tué net par un éclat dans la nuque. Le pauvre Tarzan est bien mal en point, la cuisse presque sectionnée, le bassin est ouvert, il râle déjà. Pendant que je lui fais une piqure de morphine, il y a encore une deuxième explosion, environ quatre mines, les autres sont touchés... Le lieutenant et Nicot blessés, ont réussi à sortir du champ de mines. Le Floch, touché à la poitrine, est accroupi à côté de moi... Le Floch a bondi, deux explosions encore... J'ai eu chaud, ça a pété à mes pieds ; Dignac est mort. A mon tour je me suis roulé en boule, maintenant ça commence à cracher du blockhaus... Deux ou trois mines sautent encore... ça ne fait rien, je suis passé apparemment intact. 0h20, le lieutenant est salement touché, il faut le "charrier", Nicot se traîne sur les genoux, il a les mollets et les jambes traversés par des éclats, Le Floch peut marcher. " Bon Dieu ! C’est pas un métier, ça crache de tous côtés, cette fois on est dans le bain, s'agit de se grouiller...Marche ou crève...

Enfin la falaise, Le Floch est en bas, Nicot est arrivé, on amarre le lieutenant, c'est un drôle de paquet à descendre, et dire que pendant ce temps, il y a des "frisés" qui gaspillent des munitions... S'ils pouvaient venir par ici, dans le noir, au bout de ma mitraillette... Bon Dieu de Bon Dieu !!! – 2h30, j'ai "charrié" les copains à bord du doris. En vitesse, retour à bord... Le moteur tourne à fond, tant mieux, sans ça je crois qu'il y aurait encore eu du grabuge, il y a des fusées rouges et vertes dans le ciel, cette fois les boches sont bien réveillés - 3 Heures, à bord de la MTB, ce n'est pas beau ! Du sang partout ! Le toubib a commencé son boulot ! Je me suis foutu à poil devant une glace, pas une égratignure. Y a pas à dire, je suis verni.

Mardi 28 Décembre, 9h20 retour à Dartmouth, ambulance pour les blessés, j'ai conduit les copains à l'hôpital, les docteurs ne comprennent pas comment ils ont pu revenir à bord avec leurs blessures, moi non plus. Ça ne fait rien ! Il y a des choses dans la vie, bonnes ou mauvaises, tristes ou gaies, qu'il ne faut pas essayer de comprendre. Aux "billets" ça fait moche, Déjà toute la ville connaît l'histoire... Violette pleure... Bill et Ken me serrent la main... Entente cordiale... France-Angleterre, toujours amies ! Le soir, sommeil de plomb". [2]

Commémoration à l'île de Sercq - Maurice Le Floch est à gauche

Source : N°4 Commando - Le Pleven & Simonnet ed. Heimdal

LE JOUR J

 

L'année suivante, Maurice LE FLOCH participe  au Débarquement du 6 juin 1944 à Colleville-sur-Orne (Ousitreham) au sein de la Troop 8.

Copyright Musée de tradition des fusiliers marins et commandos

Sur ce cliché  pris à Amfréville durant la Campagne de Normandie, Maurice LE FLOCH est de profil à droite.

Il terminera la guerre à l'hiver 1944- 1945 en participant à la prise de Flessingue et de l'île de Walcheren dans la Campagne des Pays-Bas.

 

"APRES LA TOURMENTE"

 

Identifiés souvent comme le "Groupe des Havrais", les anciens commandos originaires du Havre resteront unis après la guerre, et  se  retrouveront  régulièrement aux commémorations du Débarquement à Ouistreham.

Maurice Le Floch est au second rang, le second à gauche en veste claire. Copyright Benjamin Massieu

Sur cette photo de presse intitulée "Le groupe souriant des bérets verts havrais", on reconnait de gauche à droite : Yves Meudal, Marcel Niel, Marcel Derrien derrière Marcel Raulin , Maurice Le Floch, Eugène Troyard derrière lui, et enfin, Robert Boulanger et Marcel Fromager.

 

Certains d'entre eux avaient coutûme au Havre de se retrouver au café "APRES LA TOURMENTE", tenu par Marcel Derrien et son épouse, dans le quartier de l'Eure.

C'est dans ce lieu que furent enregistrées certaines séquences du reportage  "Ils étaient 177", tourné par  de Jean-Pierre Goretta pour  la RTS suisse en 1969,  dans lequel apparaissent Maurice LE FLOCH et certains de ses camarades commandos.

Rue de l'Aviateur Guérin

Le café de Marcel Derrien, d'hier à aujourd'hui

Copyright Sylvain Prentout

Marcel Niel, Maurice Le Floch et Marcel Derrien 

Extrait du film de la RTS

Ressources

 

[1] Béret vert, capitaine de corvette Philippe Kieffer, Editions France-Empire, 1969

 

[2] Extraits du récit de Pierre-Charles Boccador in : Revue de la France Libre n°94, janvier 1957

 

Dossier Résistant au SHD de Vincennes (non consulté). Cote GR 16 P 353980

 

Fiche biographique sur le site Musée de tradition des fusiliers marins et commandos Lien