BERAUD Philippe (1919-1943) RAF, FAFL          Groupe de chasse Alsace                                     Mort pour la France

Copyright Patrick Collet 

Nos remerciements au général Patrick Collet, auteur de Portés disparus.

Un aviateur "inconnu", inhumé sous la tombe n° 8 rang F carré 67 du cimetière Sainte Marie du Havre, n'a retrouvé son identité qu'en en 1948...

Il s'agissait de Philippe BERAUD, né à La Rochelle le 22 décembre 1919 ; son père, pédiatre, appartenait à la bourgeoisie rochelaise.

 

Après un internat dans une institution religieuse bayonnaise, Philippe s'inscrit en 1937 au club d’aviation populaire de Lagord.

Breveté pilote à 18 ans, il s’engage volontairement en 1938 dans l’Armée de l’Air et réussit le concours de recrutement de l’Ecole des sous-officiers de carrière du personnel navigant.

Il est incorporé à la base aérienne de Lyon-Bron le 19 novembre 1938 et entre ensuite à l'Ecole de Formation de Sous Officiers du personnel navigant d'Istres (Promotion B39). Affecté à l'école de pilotage de Clermont-Ferrand/Aulnat et, brillamment breveté pilote en mars 1939, il est nommé Caporal Chef le 16 de ce mois et rejoint Istres pour y effectuer son perfectionnement. 

 

Sélectionné "Chasse", il est affecté à l'Ecole d'Etampes qui, devant l'avance allemande, se replie sur Angoulins- sur-Mer, dans la région de La Rochelle. Il est alors Caporal Chef.

Mais, victime d’une pleurésie, Philippe BERAUD connait de longues périodes d’hospitalisation et il se trouve en convalescence lorsque les Allemands lancent leur offensive

au printemps 1940.

Le 17 juin 1940, bien qu’affaibli et diminué, il s’enfuit  en motocyclette de sa clinique à la Rochelle,  vers La Palisse, avec l'intention de rejoindre la RAF. Mais les autorités anglaises refusent de l'emmener et il doit revenir à La Rochelle.

La retraite continuant, l'Ecole d'Etampes arrive à Saubrigues dans les Landes.

Le 23 juin, Philippe Béraud s'enfuit en automobile vers Saint-Jean-de-Luz avec des camarades. Mêlé à des aviateurs polonais, il est arrêté par l'un de leurs officiers mais réussit à s'échapper, à sauter dans une chaloupe et à monter à bord de l'Arandora Star qui part le 24 juin 1940 vers Liverpool. 

L'Arandora Star

 Après une traversée de trois jours, ce sont plus de cinquante élèves pilotes français qui débarquent à Liverpool.

 

Le père de Philippe Béraud reçut ce courrier le 3 juillet 1940 :

« Monsieur, j’ai rencontré votre fils sur les quais du port de Bayonne, la veille de l’armistice. Il devait s’embarquer pour une destination que je ne connais pas.

Dans l’impossibilité, par manque de temps de vous  donner de ses nouvelles, il m’a chargé de vous assurer de son excellent moral et de sa parfaite santé. Il m’a recommandé de vous dire d’être sans inquiétude à son sujet, même si vous ne receviez rien de lui pendant un temps assez long, de croire à toute son affection pour vous et à son entier dévouement à la cause des alliés.

Recevez, Monsieur, mes salutations distinguées et mes félicitations d’avoir élevé un tel fils, si animé du dessin de remplir ce qu’il croit être son devoir ». R. Valois

Aussitôt arrivé à Londres, il rallie les Forces aériennes françaises libres (FAFL). puis rejoint la base RAF de Saint-Athan, dans le Sud du pays de Galles où sont regroupés les volontaires français des FAFL. Comme tous les jeunes Pilotes Français, Philippe BERAUD va devoir suivre un long cycle de formation et d'entraînement  dans différents centres de la Royal Air Force, avant d'être autorisé à combattre au sein d' un Squadron.

Il reprend  l'entraînement  à Odiham en novembre 1940, au Serice Flying Training School 5 de Ternhill en juin 1941 puis à l'Operationnal Training  Unit 3 de Crosby-on-Eden en septembre 1941.

Carte du périple de Philippe Béraud en Grande-Bretagne (Copyright Patrick Collet)

Il est entré en relation épistolaire avec une rochelaise dont la famille est liée d’amitié avec celle des Beraud. Mariée à un Britannique, Jeanne Moorsom, née Phelippon, réside alors au Pays de Galles.

Dans la solitude de l’exil, loin des siens, cette correspondance poursuivie entre 1941 et 1943 sera d’un grand réconfort pour le jeune pilote.

 

Philippe Béraud, sa marraîne Jeanne Moorsom et ses enfants en Grande-Bretagne

(Copyright Patrick Collet)

Lettre à Jeanne Moorsom - Ternhill, Août 1941

Je crois que la sortie approche, grande joie ! J’ai passé mon examen, j’ai normalement séché en armement. J’ai fait une brillante navigation. J’ai été nul en météo. Le reste n’a pas été trop mal et avec l’aide de mes livres que j’avais eu la précaution d’emporter, j’espère avoir obtenu le nombre de points suffisant….

J’ai encore perdu un camarade cette semaine. Je ne sais pas ce qu’ils ont tous à se tuer comme ça. La plupart ne sont pas à Ternhill et je ne connais pas de détail, mais je crois qu’ils font les petits fous (...)

 

Philippe BERAUD  est nommé Sergent Chef en octobre 1941 et Sous Lieutenant en décembre de la même année. A sa sortie d'Operationnel Training Unit - OTU, il est brièvement affecté au Squadron 607 avant de rejoindre le Squadron 132 à Peterhead en Ecosse en novembre 1941.

 Copyright Patrick Collet

Sur cette vidéo tournée lors de  la remise de la British Empire Medal à Maurice Halna du Fretay, on aperçoit  à  0.14 en retrait sur la droite, Philippe BERAUD souriant...(communiqué par Jacques Brisset).

 

Lettre à Jeanne Moorsom, Peterhead, Décembre 1941

"Tempête de neige épouvantable. On n’entend que le bruit du vent couvert toutes les cinq minutes par un « bloody Scotland », aussi sonore que sincère ! Pas de charbon, excepté dans le mess, tout le monde tâche de se réchauffer. Pas d’eau. Il fait vraiment froid et le vent est terrible. Il faut se courber en deux pour avancer. Quand je suis venu ce matin de la chambre au mess, la respiration me manquait, la neige que le vent me projetait violemment à la face, me brûlait la peau et me glaçait sur mes sourcils.

6 décembre - J’ai volé sur le Spit II B, autre honneur vu le petit nombre d’heures fait sur Spit I. J’avais deux beaux canons qui dépassaient d’un mètre des plans, c’était superbe. Vous voyez, je suis artilleur, mitrailleur, tout ce qu’on veut, je suis même navigateur, radio et pilote à l’occasion "(...)

En 1942, l'unité de Philippe BERAUD, le 132 Squadron de la RAF, gagne successivement Tain en Ecosse, puis les Orcades, et enfin les Iles Shetland au mois de mars, d'où il écrit ce courrier à  sa marraine :

30 mai 1942 - « La Free French Air Force » commence à monter très haut dans mon estime, non pas en regardant Londres, mais la liste de ceux qui sont morts. J’ai maintenant perdu 60 camarades que j’ai connus plus ou moins selon le cas… Madame, gardez avec moi le souvenir de ceux de la France qui partent sans que les leurs le sachent, et sans que personne ne les pleure. Je crois qu’on leur doit bien cela".

Il effectue sa première mission au-dessus de la France le 1er octobre 1942, qu'il relate dans une lettre à Jeanne Moorsom :

1er octobre 1942 - "J’éprouve des sentiments bizarres au-dessus de chez nous. Evidemment, je n’ai pas pu beaucoup contempler et admirer, il y a mieux à faire si on veut rentrer… D’abord c’est la côte et vous vous dites : c’est la France, c’est chez moi. Oh ! Inouï. Vous vous trouvez tout d’un coup entouré de petits nuages noirs et si vous êtes bas sur l’eau comme nous l’étions, vous voyez des centaines de d’éclaboussures à la surface. J’ai cru qu’on était pris par derrière, mais non, il n’y avait que les batteries côtières. On peut voir les lueurs rouges et tous ces petits nuages qui se forment à droite, à gauche, dessus, dessous. Et c’est de chez vous que l’on tire ! Ce jour-là, c’est tout ce que j’ai vu de mon pays et j’en aurais pleuré. Quand on est rentrés, les camarades m’ont dit pour rire – Eh bien, on est bien reçus chez toi, c’est hospitalier… Et bien que vous n’aimiez pas l’expression, j’ai répondu – you’re telling me ».

Page de garde du Journal du Groupe Alsace tenu par Philippe Béraud jusqu'à sa disparition. (Copyright Patrick Collet)

Philippe BERAUD est "Mentioned in Dispatched for Distinguished Services" le 1 janvier 1943 et  il est affecté le 21 janvier au Groupe de chasse Alsace FAFL, de retour du Moyen-Orient. L'Alsace est alors en cours de création à Turnhouse en Ecosse en tant que 341 Squadron de la RAF, sous le commandement de René Mouchotte.

En mars 1943, le Squadron 341 remplace à Biggin Hill le Groupe de Chasse  Ile de France - Squadron 340, parti au repos à Turnhouse. Echangeant aussi leurs avions, l'Alsace  hérite des Spitfire IX de l'Ile de France alors que ce dernier se retrouve sur Spitfire V.

Le 18 mars, il exulte dans le cahier de marche du Groupe  Alsace qu'il tiendra jusqu'à sa disparition :

« A 9h le commandant nous apprend que le squadron se déplace. Grande joie bientôt voisine du délire. C’est un déplacement Sud. C’est le 11e groupe. C’est le Spit IX. C’est Biggin (Hill). Nouvelle aussi inattendue qu’inespérée. Cartes, graphiques, dossiers, on emballe tout dans d’immenses caisses, tout le monde en fiche un grand coup ».

Dans une  lettre de mars adressée à Jeanne Moorsom, il ajoute : « Je suis assez heureux dans ce squadron, c’est quand même agréable de vivre avec de bons camarades. Je crois que j’étais vraiment un peu trop seul dans mon bon vieux squadron anglais. Tout seul à ne jamais dire un mot de français. Et puis je dois dire à l’honneur de mon nouveau groupe qu’il y a des hommes qui n’ont pas peur, des types qui aiment voler et qui en veulent ».

C’est le cas de Claude Raoul-Duval, pilote expérimenté, rentré du Moyen-Orient  avec l'Alsace depuis janvier 1943. 

En avril 1943, Philippe et Claude connaissent leurs premières opérations dans le Nord de la France.

Le 17 avril, au cours d'une mission de couverture de Lockheed Ventura qui bombardent la gare de triage de Caen, à peine engagé, le groupe de chasse Alsace perd ses deux premiers pilotes, abattus au même instant, dans le même combat, et par le même homme : Claude Raoul-Duval et Philippe Béraud...

Tandis que Claude Raoul-Duval réussit à sauter en parachute du côté du château de Tancarville, le Spitfire IX (BS 105) de Philippe BERAUD poursuit sa trajectoire vers le petit village de Cuverville, entre Le Havre et Fécamp, en Seine-Maritime. Le Pilote est-il inconscient, blessé… ?  Il ne sautera pas.

Un peu plus haut, dans son sillage, un avion au fuselage frappé d’une croix noire, se maintient à distance, comme s’il ne voulait rien manquer d’une fin certaine. Quelques secondes avant de survoler le clocher de l’église, l’Allemand lâche une ultime rafale.

Encore quelques centaines de mètres et le chasseur  s’écrase sur le rebord d’un mouvement de terrain au lieu-dit « le Doguet ». L’explosion est violente, l’incendie immédiat. Alertés, quelques hommes qui travaillent dans les champs environnants se précipitent.

Le feu intense empêche d’approcher de l'avion disloqué.  Le corps du pilote est retrouvé au bord d'un cratère où il a été éjecté. Deux blessures attirent le regard d'un homme qui s'en approche : l’une à l’épaule, l’autre à la tête. D’une couleur étonnamment vive sur l’uniforme gris bleu de la RAF, une écharpe de soie, que l’aviateur porte comme une étrange coquetterie, soigneusement nouée autour du cou...

Il était le premier tué au combat du 341 Squadron Alsace, depuis son retour en Grande-Bretagne.

Après une longue attente de cinq années, la famille de Philippe BERAUD retrouvera son corps enterré anonymement au Havre. À travers ses lettres, elle découvrira alors l’extraordinaire vie qui fut la sienne, d’abord dans la Royal Air Force, puis au sein d’une escadrille de chasse de la France libre.

Sépulture de Philippe Béraud au cimetière Sainte-Marie du Havre

Copyright F. Roumeguère

Ressources

 

  • Dossier Résistant de Philippe Béraud au SHD de Vincennes. Cote GR 16 P 48907
  • Dossier du  Service historique de la Défense, Caen Cote AC 21 P 20123
  • L'Odyssée France Libre du Havre (AAAFL, 2017) comporte  de nombreux extraits des lettres de Philippe Béraud, publiés  avec l'aimable autorisation de Patrick Collet.
  • Portés Disparus, Patrick Collet. Editions Heimdal, 2010

Portés disparus est le récit poignant des  deux destins croisés  : ceux de Philippe BERAUD et de Claude RAOUL-DUVAL. Un hommage et un témoignage.